Devant l’augmentation aberrante des loyers, l’attaque à la cession de bail que prévoit le projet de loi 31 menace le droit fondamental au logement.

Le droit à un logement adéquat, tel que reconnu par la Charte québécoise des droits et libertés, demeure mal protégé par la justice, et ce, malgré l’adoption en 2019 de la Loi sur la stratégie nationale sur le logement. Force est de constater qu’un bien trop grand nombre de locataires peine toujours à trouver un logement ou à payer leur loyer. Le gouvernement Legault, à l’instar des gouvernements précédents, demeure passif face à la crise du logement et ne fait rien pour protéger ce droit, voire le menace avec leur nouveau projet de loi, par lequel les locateur·rices pourraient refuser les avis de cession de bail pour des motifs banals. Présentement, les cessions de bail ne peuvent pas être refusées sans motif sérieux.


Crise du logement : portrait global

Le manque d’intervention de l’État, de pair avec la spéculation immobilière, crée un cocktail catastrophique pour l’accès au logement. Un rapport de la Société canadienne d’hypothèques et de logement paru en 2023 rapporte que le taux d’inoccupation est actuellement d’environ 1,9 % au soi-disant Canada. Il est généralement considéré qu’un seuil situé plus bas que 3% donne « l’avantage […] aux propriétaires qui peuvent augmenter davantage les loyers »1 en raison de la rareté des logements comparativement à la demande. Alors que des régions comme l’Outaouais atteignent même des taux d’inoccupation inférieurs à 1%2, on peut comprendre comment la conjecture entre la pénurie de logements et la mainmise des propriétaires peut causer un climat désastreux pour toute personne cherchant un logement abordable.

Selon les études du marché, les étudiant·es sont d’ailleurs en plein dans la mire des propriétaires. En effet, bien souvent, ce qui permet aux locataires de conserver un loyer abordable relève du droit de maintien des lieux, c’est-à-dire les locations longue durée où le bail est renouvelé année après année selon des hausses respectant les taux établis annuellement par le Tribunal administratif du logement3. La population étudiante, quant à elle, se déplaçant plus fréquemment, ne peut profiter de cette manière de maintenir un loyer bas, d’où l’importance de la cession de bail. En témoigne le rapport paru en 2022 de l’Unité de travail pour l’implantation de logement étudiant (UTILE) selon lequel les étudiant·es au soi-disant Québec paient en moyenne un loyer 2 % plus élevé que les ménages non étudiants4.  Ce même rapport soulève également qu’à l’heure actuelle, 64 % des étudiant·es consacrent plus de 30 % de leurs revenus aux frais de logement, créant un stress financier souvent préjudiciable pour la santé mentale5. Précisons aussi que, pour compléter leur projet d’études, plus de la moitié des étudiant·es doivent quitter le domicile familial car celui-ci est trop éloigné de leur établissement d’enseignement, ce qui réaffirme la nécessité de faire valoir le logement comme un droit inaliénable6.

Malheureusement, les résidences étudiantes plus abordables ne sont pas une option pour plusieurs, car les places manquent tout autant dans ces établissements. En date de juin 2023, pas moins de 1500 étudiant·es étaient sur la liste d’attente pour avoir accès à une place en résidence7. À même la ville de Sherbrooke, il manquerait 569 places pour la rentrée d’automne8. Même si le Plan québécois des infrastructures 2022-2023 a comme objectif d’augmenter le nombre de places dans les résidences étudiantes, l’UTILE décrie l’insuffisance des sommes allouées ainsi que l’inefficacité des moyens entrepris par le gouvernement vers l’atteinte de ces buts9.

 

Le projet de loi 31 : une fausse bonne idée

À la lumière du portrait ci-haut dressé, le projet de loi 31 ne vient qu’envenimer une situation déjà alarmante. En effet, bien que le projet prévoie des modifications quelque peu avantageuses pour les locataires, notamment en ce qui concerne les accusés de réception et les indemnités liées aux évictions, ces changements ne font pas le poids face à l’attaque aux cessions de bail qui y est également incluse.

En ce sens, ledit projet entend modifier le Code civil de différentes façons. Tout nouveau projet locatif devra fixer un loyer maximal pour ses cinq premières années. Les avis d’éviction soumis par un propriétaire seront présumés refusés à moins d’un avis contraire de la part des locataires. De plus, si les évictions viennent bel et bien à terme, les propriétaires devront payer un dédommagement d’au moins trois mois de loyer, ou l’équivalent d’un mois de loyer pour chaque année d’occupation consécutive, en plus de payer pour les frais de déménagement. En d’autres mots, plus le logement est occupé depuis longtemps, plus l’indemnité sera élevée.

À première vue, ces mesures semblent s’inscrire à l’avantage des locataires. Or, bien que les évictions constituent un véritable fléau qui contribue à la précarité, elles sont loin d’être le seul frein à l’accès au logement. Qui plus est, les indemnités garanties pour les évictions, même si elles seront plus élevées que par le passé, ne compenseront pratiquement jamais les frais encourus à long terme, une forte hausse de loyer accompagnant la signature d’un nouveau bail plus souvent qu’autrement. Par exemple, en 2022, dans la région de Québec, les loyers ont grimpé de 3,8 % pour les logements dont les occupant·es sont resté·es les mêmes, contre 8,2 % pour les logements dont les locataires ont changé10.

En d’autres mots, le facteur clé de l’accès au logement abordable pour les étudiant·es réside moins dans leur capacité à se prémunir contre les évictions injustes que dans le maintien des loyers bas près des campus et dans les centres urbains, ce que permettent les cessions de bail. Donner le droit aux propriétaires de les refuser pour quelconque motif équivaut presque à interdire cette pratique sur laquelle dépend l’accès au logement pour plusieurs. Rappelons que, même sans ce projet de loi, la nécessité actuelle d’un motif sérieux pour refuser une cession était déjà une bien maigre protection; des propriétaires profitent fréquemment de leur position d’autorité et de l’ignorance de certain·e·s locataires quant à leurs droits pour imposer leur volonté. De plus, une telle barrière aux cessions de bail pourrait faciliter la discrimination subie par des groupes marginalisés, dont la recherche de logement peut déjà être difficile par les voies traditionnelles. La cession de bail est un geste solidaire, qui est grandement utilisé pour pallier les effets de la crise du logement. Face au besoin de quitter leur logis, 20% des locataires préfèreraient opter pour la cession de bail même lorsque leur propriétaire leur offre de résilier le contrat de location11.

 

Mobilisons-nous !

Entre les données statistiques sur le logement et l’attitude déconnectée de la CAQ, une chose apparaît certaine: on ne peut pas compter sur la bonne volonté des propriétaires, des compagnies immobilières et du gouvernement pour maintenir les loyers abordables. Il nous revient la responsabilité de nous organiser contre ce projet de loi et de continuer à faire valoir notre droit au logement de toutes les manières possibles. Que ce soit en inscrivant son loyer au Registre des loyers ou en participant aux mobilisations prévues contre le PL-31, tous les moyens sont bons pour faire connaître notre indignation !

 

Prochaine(s) manifestation(s) :

Manifestion du FLIP le 25 août prochain à 17h au métro Papineau
Manifestation de le RCLALQ le 16 septembre prochain à 13h au métro Préfontaine

Écrit par Ariane Beaudin, Laure Dumoutier et Camille Parent-Montpetit
Illustré par Rémi Grenier

  1. André Dubuc, « La crise du logement existe bel et bien », La Presse, 27 janvier 2023,  https://www.lapresse.ca/affaires/marche-immobilier/2023-01-27/marche-locatif/la-crise-du-logement-existe-bel-et-bien.php
  2. Dans le cas de l’Outaouais, le taux d’inoccupation était de 0,8 % en 2022. (Unité de travail pour l’implantation de logement étudiant, Le logement étudiant en Outaouais – Rapport de recherche de l’ÉCLAIR Outaouais 2022, 25 mai 2023, p. 2, https://www.utile.org/nouvelles/le-logement-etudiant-en-outaouais-rapport-de-recherche-de-leclair-outaouais-2022)
  3. Cependant, ce taux directif n’est pas systématiquement respecté par les propriétaires et seule une partie des locataires connaissent leur droit de refuser ces augmentations abusives. Pour plus d’informations à ce propos : https://rclalq.qc.ca/outil/vous-pouvez-refuser-une-hausse-de-loyer/
  4. Unité de travail pour l’implantation de logement étudiant, Le logement étudiant au Québec. Rapport de recherche, Enquête PHARE 2021, Janvier 2022, p. 27, https://www.utile.org/nouvelles/enquete-phare-2021
  5. Plus de la moitié de la population étudiante évalue son état de santé psychologique entre « très fragile » et « moyen ». (Unité de travail pour l’implantation de logement étudiant, Le logement étudiant au Québec. Rapport de recherche, Enquête PHARE 2021, 2022, p. 45, https://www.utile.org/nouvelles/enquete-phare-2021)
  6. Sophie Williamson, « 60% des étudiants locataires sont en situation de précarité financière à Québec », Le Carrefour de Québec, 11 février 2022, https://www.carrefourdequebec.com/2022/02/60-des-etudiants-locataires-sont-en-situation-de-precarite-financiere-a-quebec/ 
  7. Isabelle Porter et Anne-Marie Provost, « Cégépiens incapables de se loger en région », Le Devoir, 14 juin 2023, https://www.ledevoir.com/societe/education/792923/crise-du-logement-cegepiens-incapables-de-se-loger-en-region 
  8. Ibid.
  9. Anne-Marie Provost, « Manque de logements étudiants: “on est là-dessus”, dit la ministre Déry », Le Devoir, 14 juin 2023, https://www.ledevoir.com/politique/quebec/792949/manque-de-logements-etudiants-on-est-la-dessus-dit-la-ministre-dery 
  10. Société canadienne d’hypothèques et de logements, Rapport sur le marché locatif, 2023, p. 139, https://assets.cmhc-schl.gc.ca/sites/cmhc/professional/housing-markets-data-and-research/market-reports/rental-market-report/rental-market-report-2022-fr.pdf?rev=25d32cc9-9763-48b5-9e3b-399f21a96586
  11.  Anne-Sophie Roy, « “Du jamais-vu” : Un propriétaire sur quatre aurait affaire à une cession de bail, une situation “très grave” selon la CORPIQ », Le 24 heures, 22 mai 2022, https://www.24heures.ca/2022/05/26/du-jamais-vu–un-proprietaire-sur-quatre-aurait-affaire-a-une-cession-de-bail-une-situation-tres-grave-selon-la-corpiq