« L’exploitation n’est pas une vocation! », « Pas de salaire, pas de stagiaire », « Grève des stages, grève des femmes » : des slogans revendiquant la salarisation des stages se font scander depuis plusieurs années dans les rues du soi-disant Québec. Les personnes militantes s’en retrouvent parfois épuisées, mais elles  reviennent toujours en force pour que le travail des stagiaires soit reconnu. Au courant des dernières années, des gains importants ont été acquis et les moyens de pression ont escaladé. Sans se vouloir exhaustif, retraçons les grandes lignes de la mobilisation pour la salarisation des stages afin de porter un regard sur son avenir. 

 

Bref historique de la mobilisation pour la rémunération des stages

 

2015, des personnes étudiantes en internats en psychologie lancent une grève en automne qui va s’étendre sur deux mois et aboutit à la création de 250 bourses de 25 000$ par le gouvernement.

2016, suite à une assemblée générale au Cégep Marie-Victorin adoptant un mandat revendiquant la reconnaissance du travail étudiant, les Comités unitaires sur le travail étudiant (CUTE) sont créés. Ces comités autonomes et autogérés se multiplient à travers les campus pour revendiquer la rémunération des stages, tous domaines confondus et à tous les niveaux d’éducation postsecondaire. Les CUTE mettent notamment de l’avant que les femmes, les personnes racisées, les personnes immigrantes ainsi que les personnes universitaires de première génération sont surreprésentées au sein des formations ayant des stages obligatoires non rémunérés et que de nombreuses personnes stagiaires en situation de marginalité et d’oppression (racisées, en situation de handicap et 2SLGBTQIA+) éprouvent encore plus de difficultés à conjuguer les études, le travail, le stage et la famille qu’une personne n’étant pas dans l’une de ces situations. 

2018 et 2019, les CUTE vont poursuivre la mobilisation à plus grande échelle. De nombreuses associations votent des grèves de plusieurs jours consécutifs. Encore une fois, la réponse du gouvernement est alors d’offrir des bourses de soutien à la persévérance et à la réussite, qui ciblent uniquement les derniers stages en éducation, en santé et en travail social. 

Quoique considérées comme des réussites, ces bourses resteront largement critiquées. Leur accessibilité est limitée à cause d’un nombre de bourses limité par établissement d’enseignement pour les internats en psychologie, et le montant offert (entre 2000 $ et 4000 $ pour les bourses de soutien) se situe bien en dessous du salaire minimum et ne permet pas de subvenir aux besoins de plus en plus criants de la population étudiante. Par ailleurs, ces bourses seront remplacées par le programme de bourses Perspective Québec qui seront encore moins accessibles puisqu’elles sont réservées uniquement aux personnes étudiantes inscrites à temps plein ou réputées à temps plein. En effet, les personnes en situation  précaire n’ayant pas accès à l’attestation temps plein, en raison d’une situation de handicap, se retrouvent pénalisées, particulièrement dans un contexte où la preuve de handicap est plus difficile d’accès pour les personnes vivant d’autres formes d’oppression. 

Ce changement inattendu montre que la rémunération sous forme de bourse est à risque de suspension ou d’abolition en fonction des aléas gouvernementaux. En contrepartie, un salaire offert à des personnes pouvant se doter de la protection syndicale permet de pérenniser et protéger le financement.

ENCADRÉ : La différence entre salarisation et rémunération : Il est important de comprendre cette distinction. Une rémunération réfère à n’importe quelle compensation offerte à une personne, qu’elle soit matérielle ou monétaire, tandis qu’une salarisation réfère plutôt à l’obtention d’un salaire pour le travail effectué. Ainsi, une bourse fixe peut être comprise comme une rémunération, alors qu’un salaire est associé à un taux horaire fixe, permettant une protection légale supplémentaire et une possibilité de syndicalisation. 

Vers une salarisation des stages : la protection des stagiaires 

2022 et 2023, la lutte repart en force! Le collectif Un salaire pour toustes les stagiaires (SPTS) reprend le flambeau des CUTE. Notons également la création d’une multitude  de groupes militants dans plusieurs régions pour mobiliser la population étudiante. Des semaines de grève sont votées à l’hiver 2022, et à la fin de celles-ci, les membres de l’Association des étudiantes et étudiants de la Faculté des sciences de l’Éducation de l’Université du Québec à Montréal (ADEESE-UQAM) votent une date pour la tenue d’une assemblée générale de grève à l’automne 2023.

En réaction aux conditions précaires des stages et aux manques flagrants de protection pour les stagiaires, surtout en matière de harcèlement psychologique et sexuel, l’ADEESE rédige une lettre ouverte adressée à sa faculté et au ministère de l’Enseignement supérieur pour revendiquer des changements en ce qui concerne la charge de travail, le temps de transport, la protection des stagiaires, la situation des parents-étudiants et la salarisation de tous les stages. Cette lettre sera signée par plus de 1 000 personnes et restera sans réponse. 

L’assemblée générale de l’ADEESE se dote alors d’un mandat de grève des stages et des cours de deux semaines qu’elle va renouveler trois fois (pour un total de cinq semaines de grève) jusqu’à l’obtention d’engagements significatifs de la Faculté d’Éducation de l’UQAM, incluant, entre autres, la création de comités paritaires pour amorcer des changements au fonctionnement des programmes et l’ajout d’un nouveau poste visant le traitement des plaintes de harcèlement en milieu de stage. 

Malgré les gains locaux, l’objectif de la salarisation de tous les stages est loin d’être atteint. Les stagiaires de l’ADEESE n’ont pas abandonné l’idée de la salarisation et iels se lancent dans une campagne de syndicalisation avec leur syndicat étudiant (SÉTUE) pour la session d’hiver 2023 et arrivent à faire signer assez de cartes syndicales pour déposer une requête au tribunal du travail. Malheureusement, d’un geste purement corporatif, une centrale syndicale, la CSQ, bloquera ce dépôt et ainsi le traitement de la requête.

Les régions poursuivent la lutte : Rimouski en grève 

Devant le reprise de la mobilisation pour la salarisation de stages, le mouvement fait rage et une branche du collectif SPTS voit le jour à l’Université du Québec à Rimouski. Une journée de grève est organisée à l’automne 2022 afin de rejoindre le mouvement initié par l’ADEESE. La pression et l’organisation s’accentuent la session suivante. 

En addition à cela, l’Association Générale Étudiante du Cégep de Rimouski (AGECR) vote deux journées de grève générale illimitée, puis l’Association Générale Étudiante du Campus À Rimouski de l’UQAR (AGECAR) vote une semaine de grève du 27 au 31 mars, pour la salarisation de tous les stages. L’administration de l’Université, ne voulant pas reconnaître plus d’une journée de grève, oblige la mobilisation étudiante rimouskoise à forcer le respect de son mandat de grève en effectuant des lignes de piquetage hermétique et en levant les cours un par un. Deux jours de négociation sont nécessaires afin d’en arriver à une entente pour que l’UQAR reconnaisse enfin la grève votée par les membres de l’AGECAR. Dans la foulée de la mobilisation, l’AGECR poursuit son mandat de grève afin de rejoindre l’AGECAR pour la semaine complète. L’ensemble des personnes étudiantes aux études supérieures de Rimouski sont donc en grève au même moment et sortent dans les médias afin de dénoncer l’absence de coopération institutionnelle et de faire entendre le besoin de la salarisation de tous les stages. Cette mobilisation montre qu’il s’agit d’un enjeu de l’ensemble de la communauté étudiante et que des soulèvements sont également possibles en région. Devant l’absence de mesures touchant la salarisation des stages au niveau gouvernemental, le désir de faire bouger les choses se poursuit sur les rives du Magtogoek[3]. Cette mobilisation a tout de même été couverte par les médias et une motion de dénonciation de la non-rémunération de plusieurs stages dans le secteur public a été adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale du Québec. Toutefois, cette motion n’a pas intégré les revendications de la mobilisation malgré les corrections soumises par le collectif SPTS.

En route vers une Grève Générale Illimité? Le mandat de la CRUES

Les grèves locales des dernières années ont certainement servi le mouvement de la salarisation de tous les stages. Par contre, elles montrent le besoin de se coordonner plus largement et de continuer l’escalade des moyens de pression. La Coalition de résistance pour l’unité étudiante syndicale (CRUES) souhaite faciliter la collaboration entre les universités et les cégeps. Jusqu’à maintenant, les grèves non coordonnées ont permis de ramener le sujet de la salarisation de stages dans l’espace public, mais peu de résultats en sont ressortis. Afin d’inciter le gouvernement à prendre des actions concrètes, nous devons commencer à envisager des moyens concertés et d’envergure : agitation, désobéissance civile, grève des stages, grève générale illimitée, contrôle du discours public…

2024, à nous d’écrire la suite. 

Écrit par Anne-Sophie Bendwell & Olivier Hérard
Au nom du comité des affaires académiques et de la recherche de la CRUES

Illustré par Rémi Grenier

  1. Les personnes de première génération sont des personnes étudiantes dont le ou les parent(s) n’ont pas effectué d’études universitaires.
  2. Syndicat des Étudiants et Étudiantes Employé-e-s de l’UQAM.