La toute nouvelle Coalition de Résistance pour l’Unité Étudiante Syndicale (CRUES) a déjà adopté à son congrès d’avril une résolution visant à mettre en place une campagne contre la précarité étudiante. Dans un contexte d’insécurité grandissante au sein de la population étudiante et des classes populaires, la pertinence de cette campagne est incontestable. Ce texte s’adresse à tous·tes les étudiant·es qui souhaitent prendre part à cette campagne pour l’amplifier, l’élargir ainsi que pour lui donner un caractère véritablement radical.
Brève présentation de la campagne et commentaires
S’échelonnant sur deux ans, la campagne adoptée en avril porte comme revendication principale, pour sa première année, la salarisation de tous les stages. En effet, la non salarisation des stages — particulièrement forte dans les métiers traditionnellement associés aux femmes comme l’éducation, les soins infirmiers et le travail social — est identifiée très justement comme une des causes majeures de la précarité de grandes couches de la population étudiante. Le travail gratuit que doivent effectuer tant de stagiaires dans ces domaines constitue une forme d’exploitation à caractère indéniablement patriarcal. Une campagne visant à combattre cela doit être considérée comme une campagne contre certaines des plus insidieuses formes d’extorsion de valeur dans la société capitaliste contemporaine. Celle-ci aurait donc la chance de placer « le mouvement étudiant au centre de la lutte des classes » et lui donner la radicalité qu’il lui manque trop souvent.
La perspective de la campagne se fonde sur l’accessibilité aux études et à des conditions de vie décentes, en liant dans son argumentaire la gratuité scolaire et la salarisation de tous les stages. De plus, la première année de campagne doit intégrer « une perspective transversale de transition écologique et sociale, sans en faire l’élément central. » Sur ce dernier point, il peut être intéressant d’élargir la perspective pour donner au mouvement et au discours une plus grande amplitude, permettant notamment de dénoncer les causes structurelles souvent ignorées des problèmes comme la précarité étudiante. Toutefois, il faut éviter que cela mène à un éparpillement excessif qui ferait perdre au mouvement sa force de frappe.
Pour obtenir la salarisation des stages, il est prévu que soient organisées deux semaines de grève à la session d’hiver 2024 dans le cadre d’une escalade des moyens de pression. Il semble difficile de croire que seules ces deux semaines de grève nous permettront d’obtenir la salarisation de tous les stages à tous les niveaux, alors qu’il a fallu cinq semaines de grève à aux étudiant·es en éducation de l’UQAM pour obtenir des gains bien plus modestes à l’automne 2022.
Une seconde phase de la campagne sera déterminée par le congrès annuel à l’hiver 2024, où il sera question de décider quelle revendication sera mise de l’avant pour la deuxième année. Sur cette question, à moins de revirements inattendus, il m’apparaît qu’il faut soutenir la poursuite de la revendication pour la salarisation de tous les stages considérant qu’une mobilisation et un discours auront été construits sur cet enjeu et que la probabilité qu’il soit résolu définitivement après un an de campagne est plutôt faible.
Pistes de réflexion et d’action
Une première piste de réflexion potentiellement intéressante porte sur le statut des stagiaires comme travailleur·ses. Le prolétariat comme classe est large et hétérogène. Réfléchir sur la position qu’occupent les stagiaires dans ce vaste ensemble unifié autour de sa condition d’exploitation et d’aliénation permet de mieux comprendre la place que ce groupe peut jouer dans les luttes en cours. La question de la syndicalisation des stagiaires est aussi intimement liée à ces interrogations. Une autre piste de réflexion plus large à investir est un questionnement stratégique sur la place que pourrait jouer le mouvement pour la salarisation des stages dans la lutte contre le système capitaliste en soi. Le refus du travail gratuit en contexte de stage et la demande d’un salaire pour ce travail s’attaquent à un des rouages par lequel la société capitaliste arrive à fonctionner et se reproduire. Avec une direction claire, le mouvement des stagiaires pourrait jouer un rôle important dans un mouvement général de dépassement du système capitaliste.
En ce qui a trait à l’action, voici deux avenues générales à considérer. Premièrement, notons la piste de l’élargissement hors du milieu étudiant. Tout le monde s’appauvrit: nous avons tout à gagner en sortant de notre milieu de sorte à créer les liens de solidarité qui nous permettront de former le front le plus large possible afin d’arracher à l’État et aux classes dominantes ce qui nous revient. Concrètement, cela peut vouloir dire de tenter d’obtenir des engagements de solidarité de la part de groupes et organisations populaires, d’appeler à des actions contre la précarité dans d’autres secteurs de la société ou de faire converger le mouvement étudiant avec des mouvements déjà existant sur ce thème. Deuxièmement, nous pouvons penser à la piste de la mobilisation de la base. Trop souvent, les campagnes du mouvement étudiant sont menées réellement par une minorité. Cela est profondément néfaste pour le succès de nos campagnes et pour la démocratie interne de notre mouvement. Il est essentiel de ne pas négliger l’importance du travail au sein de la population étudiante pour constituer une base large, consciente et engagée dans la lutte. Mettre sur pied des tournées de classe, faire du tractage, organiser des conférences, discussions et visionnements sont toutes de bonnes manières de mobiliser plus largement les étudiant·es.
Le succès de cette campagne ne dépend que de notre organisation et de notre engagement. Avec une stratégie réfléchie et une base mobilisée, rien ne peut nous arrêter. Les étudiant·es uni·es jamais ne seront vaincu·es!
Écrit par Édouard Bernier-Thibault
- Collectif, Grève des stages, grève des femmes. Anthologie d’une lutte féministe pour un salaire étudiant (2016-2019) (Montréal: Éditions Remue-Ménage, 2021), 10.
- Coalition de Résistance pour une Unité Étudiante Syndicale, Procès-verbal du congrès annuel de la Coalition de Résistance pour une Unité Étudiante Syndicale du 29-30 avril 2023, 2023, 8, https://crues.org/wp-content/uploads/2023/06/2023-04-29-30-PV-congres-annuel-1.pdf/.
- Pour plus d’information sur cette lutte et ses résultats, voir le texte État des lieux pour la salarisation des stages dans ce présent volume et le texte Présentation et témoignages de la grève à l’ADEESE d’automne 2022 que j’ai rédigé pour Union libre, le journal étudiant de science politique et droit de l’UQAM, qui est disponible à cette adresse : https://www.unionlibre.net/post/pr%C3%A9sentation-et-t%C3%A9moignages-de-la-gr%C3%A8ve-%C3%A0-l-adeese-d-automne-2022/.