Par Antonin Gilbert, membre du comité journal de la CRUES

De l’amiante dans les plafonds, aucune climatisation, des coupures dans l’offre de cours; c’est une rentrée qui s’annonce amère pour les étudiant∙e∙s du cégep Lionel-Groulx.

Bien que la CAQ s’efforce à déguiser ses mesures d’austérité, les étudiant∙e∙s ne sont pas dupes. Les coupes dans les services et les infrastructures se multiplient dans tous les cégeps et universités.

Une austérité mal déguisée

L’austérité, c’est une période de coupures budgétaires intenses dans les services publics initiée par un gouvernement. L’effet est souvent dévastateur sur les services publics et encore plus grand sur les plus démunis.

Chez nous, le gouvernement de François Legault, élu fraîchement après l’austérité du gouvernement libéral de Philippe Couillard (2014-2018), s’est fait élire comme la voix du changement, en promettant un réinvestissement dans les services publics. Il s’est ainsi fait beaucoup de capital politique en affirmant bien fort que « [l]a priorité des priorités, ça doit rester l’éducation ». Mais qu’en est-il réellement?

Cette année, ce même gouvernement prévoit dépenser 230M$ de plus que l’an passé en éducation supérieure. Bien que ça se traduise par une augmentation de 2,1% du budget par rapport à celui de l’année 2024-2025, c’est bien peu quand on compare avec l’augmentation générale des prix, autrement dit l’inflation, 2,3% au moment d’écrire ces lignes. Pour qu’une augmentation soit réelle, elle doit minimalement dépasser l’inflation. Concrètement, notre budget se voit donc coupé. Les plus grosses augmentations de dépenses des dernières années constituent tout au plus un rattrapage des coupures de l’ère Couillard, on n’a pas assisté à une bien grande augmentation de la qualité de nos services.

En plus d’un budget réduit, toujours plus d’étudiant∙e∙s s’ajoutent aux bancs des universités et des cégeps. Juste en 2024, les cégeps ont vu une augmentation de 5,8% de leur population étudiante, soit la plus grande augmentation en 25 ans. Avec une hausse budgétaire de seulement 2,1%, les administrations coupent toujours plus dans leurs services. Au cégep de Lionel-Groulx, par exemple, les résidences étudiantes sont connues pour des inondations, coupures d’électricité et avis d’ébullition d’eau fréquentes. Les rénovations se font attendre, mais sont constamment repoussées, faute de budget.

Pour couronner le tout, le gouvernement diminuera le budget d’éducation supérieure de 0,3% l’an prochain. Bien que ça paraisse minime, puisque les coûts augmentent, il s’agit d’une coupe assez drastique. Cela s’ajoute au gel d’embauche du personnel administratif dans les cégeps, ce qui impliquera des temps d’attente plus longs pour la paperasse administrative, au nom de la rigueur budgétaire.

Envers et malgré tout, François Legault et son gouvernement se sont engagés au retour à l’équilibre budgétaire dès 2029-2030[1]. Pour ce faire, sa stratégie revient à couper 11,8 milliards de dollars annuellement. Selon lui, il serait impossible de retourner à l’équilibre budgétaire sans ces coupures. Or, les déficits de son gouvernement et des gouvernements passés s’expliquent au moins en partie par leur refus systématique d’augmenter leurs revenus en taxant les plus riches. Un gouvernement qui préfère couper que d’attaquer la richesse des plus riches ne peut pas garder l’éducation comme priorité des priorités.

Nous méritons mieux

Remettons les pendules à l’heure sur les attentes des étudiant∙e∙s et des citoyen∙ne∙s quant à leur gouvernement : dans notre société où la croissance économique et technologique est constante, les travailleur∙euse∙s présents∙e∙s et futur∙e∙s la rendant possible méritent une amélioration constante de leurs conditions de vie. Nos services publics aussi devraient constamment s’améliorer.

C’est pourtant tout l’inverse qui se produit. Presque chaque gouvernement a annoncé de nouvelles baisses d’impôts, immanquablement justifiées par l’affirmation que les finances publiques sont en pleine santé. Qu’est-ce qui suit? Des coupures dans les services publics! Mais quelle surprise! Quand on coupe dans les revenus, il faut couper dans les dépenses! Leur raisonnement va toujours comme suit : la diminution du fardeau fiscal des entreprises augmentera leur productivité, et donc que leurs revenus imposés renfloueront les coffres de l’État, compensant ainsi les baisses d’impôts. La vague récente de coupures de la CAQ leur donne tort et révèle leur incompétence (ou leur malhonnêteté, je vous laisse choisir).

Mais pourtant, le gouvernement et bien des économistes insisteront sur la rigueur budgétaire. Soit. Je vous suis : priorisons l’essentiel, coupons tout le superflu! Coupons dans la dizaine de milliards prévus pour le troisième lien, que toujours aucune étude ne supporte, après tant d’années. Coupons les 3,5 milliards de dollars en prêts et subventions accordées par le gouvernement provincial à Northvolt, une startup dont la société-mère est maintenant en faillite. Coupons les 600 millions de dollars en « dépassement de coût » pour SAAQClic à cause de l’incompétence et des mensonges des ministres Caire et Bonnardel[2]. Coupons les chèques électoralistes de 500$ de la pandémie, donnés aux particuliers gagnant jusqu’à 100 000 $ de revenus imposables, mais la liste est longue. Le gouvernement de la CAQ aura été somme toute dépensier et frivole, et ces dépenses étaient des occasions manquées de réinvestir massivement plus dans les services publics.

Hélas! L’incompétence des gouvernements, et leur insistance pour des raisons électorales sur des projets cons et dispendieux leur enlèvent toute crédibilité. Au lieu de demander aux écoles de serrer leur ceinture : serrez-donc votre propre ceinture!

Les coupures perpétuelles et le mythe de la croissance

Ces coupures perpétuelles nous montrent peut-être quelque chose de plus profond sur l’économie de croissance : ce qui croît, ce n’est pas abstraitement l’économie, mais bien les profits des entreprises et la valeur de leurs actions en bourse. Lorsque les impôts baissent, dévastant nos services publics, mais que cela génère une croissance de l’économie, ça signifie que la croissance de leurs profits passe avant notre droit à une éducation décente et accessible, à des soins de santé, à la dignité.

Même quand l’économie va bien, la production de biens et services, de bons emplois et de conditions de vie agréables pour la population ne sont qu’un heureux hasard qui n’est même pas garanti. Que l’économie aille bien ou mal, les services publics et le coût de la vie souffrira… si on laisse le gouvernement et la bourgeoisie[3] s’en tirer.

Choisissons un autre chemin !

Pour maintenir, et même améliorer la qualité et l’abordabilité de nos services publics, incluant le réseau des universités et des cégeps, il faut cesser les coupes, et soutenir la croissance des dépenses. Pour que les études ne soient plus synonymes de pauvreté temporaire, mettons en place la gratuité scolaire. Pour que le réseau d’éducation supérieure profite à tous, accélérons les travaux d’agrandissements et de rénovation des cégeps. Et par pitié, cessez ce cercle vicieux de l’éternelle baisse des impôts suivis de coupes dans les services, et considérez d’augmenter les revenus avec des taxes sur la richesse. Ce sera bien mieux pour nos services publics, comme pour la santé du budget. Sinon, nous n’aurons d’autre choix que de faire la grève.

[1] Pour suivre la Loi sur l’équilibre budgétaire, un gouvernement doit présenter un budget sans déficit, ou présenter un plan pour le résorber dans les cinq années suivantes, généralement.

[2] Rappelons-nous que ces « dépassements de coûts » représentent des honoraires de consultants payés à 350$ de l’heure.

[3] Classe de gens gagnant leur vie en exploitant le travail d’autrui : employeur, propriétaire de logements, etc.